Le 9 mai 2025
Communiqué de presse du tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles
Concerne : La Justice mérite le respect
Il est acquis que :
- la Justice belge est chroniquement sous-financée ; le budget de l’ordre judiciaire s’élève à 1,4 milliards d’euros, soit seulement 0,44 % de toutes les dépenses de l'Etat (communiqué du Conseil Supérieur de la Justice du 29/04/2025) ;
- le projet de réduction des pensions des magistrats est en cours ;
- la magistrature (juges et procureurs) constitue un pouvoir constitutionnel de l’Etat, tout comme le pouvoir exécutif (les ministres) et le pouvoir législatif (les parlementaires) ;
- les membres du pouvoir judiciaire sont prêts à participer à l’effort d’assainissement des finances publiques, le cas échéant par une réforme du système des pensions, mais ils estiment que celle-ci doit concerner les membres des trois pouvoirs.
L’étude relative à la mesure de la charge de travail réalisée en 2024 a démontré que la situation est particulièrement tendue au sein des cours et tribunaux : il a été objectivement et scientifiquement démontré que les magistrats travaillent environ 54 heures par semaine.
Concrètement, sur la base de cette étude, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles devrait disposer de 17,5 magistrats contre 14 aujourd’hui.
Cette situation, loin d’être isolée, est celle de la plupart des juridictions du pays. On ajoutera que certains « palais » de justice tombent en ruine et n’offrent pas des conditions de travail décentes.
On demande depuis des années aux magistrats et au personnel judiciaire de faire davantage avec de moins en moins de moyens. À présent, le pouvoir politique annonce aux magistrats que leurs pensions de retraite vont être réduites, sans transparence de calcul, ni limites proportionnées.
L’incertitude, la démotivation et le sentiment de colère sont à leur comble auprès d’un très grand nombre de membres de l’ordre judiciaire.
Qu’on ne s’y trompe pas : la question de la pension de retraite des magistrats ne se résume pas à la préservation de prétendus avantages ; il s’agit de la défense de l’Etat de droit par la qualité de la justice. Il sera impossible d’attraire à la magistrature des professionnels de droit compétents et expérimentés (avocats, juristes d’entreprise, professeurs du droit), si à la situation actuelle déjà problématique, on enlève le dernier facteur d’attractivité du métier de magistrat par rapport au secteur privé.
Le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles ne peut rester insensible à la crise actuelle.
Dans ces conditions, tout en maintenant l’ensemble des services aux justiciables, et après en avoir informé Madame la Bâtonnière de l’ordre français du barreau de Bruxelles, le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles a décidé d’agir temporairement suivant trois axes, chaque juge gardant naturellement son libre-arbitre :
- les dossiers dans lesquels l’Etat belge ou une autorité publique sera une partie demanderesse (notamment les demandes de faillites) seront renvoyés au rôle ;
- le tribunal suspendra sa collaboration aux mesures de police économique menées par l’Etat belge, notamment en ce qui concerne les procédures de dissolutions judiciaires d’entreprises ;
- les juges réserveront à statuer dans leurs jugements sur le paiement des droits de mise au rôle de 165,00 € par affaire, dus à l’Etat belge.
Tant que le pouvoir exécutif persistera à prendre des mesures qui mettent en danger le droit du citoyen à avoir accès à une justice de qualité et à obtenir une décision judiciaire dans un délai raisonnable, en méprisant et en asphyxiant toujours plus un pouvoir judiciaire déjà exsangue, le tribunal se réservera le droit de prendre d’autres mesures, en concertation avec les autres juridictions du pays et plus particulièrement avec les autres tribunaux de l’entreprise.
Pour plus d’informations :
Pierre-Yves de Harven – Magistrat de presse
Pierre-Yves.deHarven@just.fgov.be